Comment tuer son équipe en 10 leçons? Leçon Nº5: Diviser pour mieux les user

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S'il y a bien un danger que tout anti-manager doit garder à l’esprit dans l’exercice de ses fonctions, c’est la menace de la cohésion d’équipe. Ce sentiment, qu’en bon anti-manager vous n’avez jamais connu, constitue au sein d’une équipe une défense non négligeable à vos efforts de destruction individuelle. A l’inverse, son absence totale est un atout significatif pour atteindre vos objectifs d’anti-management. Il convient donc de prendre le temps nécessaire à la prévention systématique de cette gangrène de vos plans. Quelques conseils clés pour y parvenir :


1- Ôter toute forme de sociabilisation 

Omettez la notion de pause
La première condition pour créer de la cohésion réside dans le temps libre que les membres de l’équipe peuvent passer ensemble, à commencer par les pauses, notoire moment de fort lien social. Il vous appartient, en tant qu’anti-manager, d’en faire oublier jusqu’à l’existence à votre équipe. Pour cela et sous couvert d’une charge de travail toujours trop importante, commencez par donner l’exemple en ne vous accordant aucune pause apparente, en particulier lors d’un travail de groupe. L’équipe n’osera pas vous laisser continuer de travailler seul(e) pour prendre une pause. Le déjeuner ne faisant pas exception, vous aurez soin de commander pour l’équipe des plateaux de sushi que vous mangerez tous ensemble derrière vos écrans. Si d’aventure certains suggèrent d’aller manger à l’extérieur, demandez-leur en les voyant se lever quand le document demandé le matin même et déjà en retard vous sera remis, ils changeront rapidement d’avis. En désespoir de cause, accompagnez-les systématiquement et parlez travail, ils opteront rapidement pour l’option sandwich devant leur ordinateur.
Il va de soi que vous aurez pris soin dans l’organisation des bureaux de ne pas dédier d’espace aux pauses, mettant la machine à café et le frigo dans un petit coin exigu à distance audible de votre bureau, décourageant ainsi tout rassemblement et toute discussion dissidente. En cas de discussion de plus de 2min, sortez de votre bureau et, sous prétexte de vous servir le 20ème café de la journée, mêlez-vous à la conversation ou imposez un sujet lié au projet en cours des personnes concernées, dans la minute elles seront retournées à leurs postes.
Vous aurez également pris soin d’arrêter de fumer afin de vilipender ceux qui ne pourront s’empêcher de descendre dans la rue, et de leur suggérer fortement d’arrêter rapidement.
Bien entendu ayez l’œil sur votre montre à chacune de leurs pauses et n’hésitez pas à lancer à la cantonade quelques remarques cinglantes sur le temps « parti en fumée » du fait de l’addiction navrante de certains membres de l’équipe.


Supprimez toutes les occasions de rassemblement informel de l’équipe
De la même manière que les pauses sont éliminées, inutile de multiplier les diners ou les pots avec l’équipe puisqu’il n’y a aucune raison de célébrer les résultats que leur travail désastreux ne produit pas. Limitez donc les rassemblements informels à quelques rares déjeuners d’équipe (optionnels pour ceux qui sont en retard sur leur travail) pour « célébrer » l’arrivée d’un nouvel arrivant- appliquant la Leçon Nº1-, au cours desquels vous accaparerez la conversation en parlant soit des projets en cours et de tout le travail qu’il reste à faire pour atteindre les objectifs, soit de votre vie privée absolument inintéressante comme les problèmes liés aux travaux de votre nouvel appartement. Assurez-vous de vous placer au centre de la table afin de ne pas donner l’occasion aux membres de votre équipe de partager entre eux leurs états d’âmes. Limitez toujours l’alcool sous couvert de perte d’efficacité pour le travail de l’après-midi.
Et bien entendu si vous pouvez appâter l’équipe lors du recrutement avec un potentiel séminaire au ski en cas de réussite des projets en cours, vous vous assurerez que le succès ne sera jamais à la hauteur et ferez porter la responsabilité de l’annulation au manque d’efficacité de certains membres de votre équipe. Ce genre de séminaire de « team building » est en effet désastreux pour l’ambiance que vous cherchez à créer.


Instaurez la loi du silence
Le désir de lien social prenant parfois des formes insidieuses, sachez que prévenir les rassemblements informels ne suffit pas puisque le lien peut se créer en travaillant ensemble. Là encore un bon anti-manager doit savoir prendre ce risque en compte dans l’organisation des bureaux et des projets : tout d’abord il est clair qu’un open space toutes portes ouvertes donnant sur votre bureau s’impose, limitant les conversations privées ou les tentatives de détendre l’atmosphère par des plaisanteries. Pour éviter les messes basses ou les communications non-verbales, placez tous les bureaux collés aux murs, afin que chacun fasse face au mur, et assurez une distance d’au moins 2m entre chaque individu. Cela vous permettra également de pouvoir à tout instant contrôler les écrans. Traversez l’ensemble des bureaux de manière régulière, sous couvert par exemple d’imprimer un document, et prenez le temps de jeter un œil sur l’écran de chacun. Installez-vous régulièrement dans l’open space pour « travailler avec eux ». De même, lorsqu’un travail doit se faire en groupe dans la salle de réunion, assurez-vous de faire partie du groupe ou de venir régulièrement contrôler la production pour limiter toute tentative de discussion hors-sujet.
Et prenez soin d’insister lors des points d’équipe sur le souci de confidentialité absolue des différents projets justifiant une communication minimale entre les différentes personnes (voir Leçon Nº3). Enfin, pour éviter toute communication écrite, faites largement savoir que vous avez accès à leurs emails et historiques de navigation et exigez d’eux qu’ils signent la charte informatique interdisant l’accès aux mails perso et aux réseaux sociaux sur leur ordi.

Vous aurez ainsi un bon terreau pour instrumentaliser leurs relations sociales.


2- Créer un climat de méfiance

Limiter les occasions de cohésion ne suffit pas pour la prévenir durablement, le naturel humain amenant les êtres faibles à s’attacher stupidement à son prochain. Il vous incombe donc en votre qualité d’anti-manager de briser ces potentiels attachements en semant le doute sur les capacités ou les intentions des uns et des autres.

Faites circuler des rumeurs négatives
Pour cela il s’agit tout d’abord de connaitre un maximum d’informations sur les états d’âmes des membres de votre équipe. Vos qualités naturelles d’anti-manager vous ayant gratifié d’un détecteur fiable des faiblesses et des défauts de chacun, il vous sera facile d’extrapoler certains comportements et de lancer des rumeurs- de la manière la plus insidieuse et innocente possible, et toujours sous le sceau du secret- sur la situation de l’un ou de l’autre vous permettant de justifier sa faiblesse au sujet de laquelle vous ne cacherez pas vos préoccupations « je suis très inquiète au sujet de X, en ce moment sa performance est en chute libre ». Cela peut être d’ordre médical « il est dépressif », « elle est bipolaire », familial « il ne supporte pas la grossesse de sa femme », « son fils ne va pas bien », financier « il a de gros problèmes d’argent » etc. Ces confidences augmenteront la confiance en vous de ceux qui les recevront et limiteront les réactions de solidarité lors de vos reproches envers ces gens-là, pour lesquels vous pourrez d’ailleurs feindre un ton de pitié. Expliquez de même tout congé maladie suspect – les supposés « burn-out », invention d’une stupidité effarante- par une explication rationelle de votre choix « elle est enceinte », « il a un problème personnel à régler», qui justifieront d’autant mieux le départ prochain de ces personnes, à ce stade-là vous savez qu’elles ne vont pas tarder à tomber.

Encouragez la calomnie
Bien entendu vous chercherez en lancant ces rumeurs à obtenir du reste de l’équipe des confidences les uns sur les autres que vous pourrez modifier à loisir. Usez donc pour augmenter la confiance du « X m’a dit que Y était très difficile à gérer en ce moment, tu en penses quoi ? ». Vous serez surpris de ce que votre autorité et la peur de déplaire peuvent produire comme résultats. Si vous savez bien les interroger-en faisant sentir à l’interrogé que vous cherchez un coupable et que s’il ne vous en livre pas un ce sera lui par défaut, vous obtiendrez d’eux toutes les informations qu’il faut. Pour cela soyez abrupt(e) et agressif dans vos questionnements, et plaignez-vous immédiatement du problème et des conséquences graves que cela pourrait entrainer. Ou au contraire soyez caressant et encourageant, et livrez vos fausses confidences comme si vous vous libériez d’un grand poids. Dans tous les cas déformez ensuite les propos recueillis pour lancer de nouvelles rumeurs sur les personnes concernées : « X n’en peut vraiment plus de devoir repasser derrière toi qui ne fait pas ton travail», «Y me dit qu’il se sent nul par rapport à toi»,», « Il m’a dit qu’il n’était pas prêt à faire les efforts que son poste demande, ca va être difficile pour lui de progresser dans ce contexte » etc. N’épargnez rien qui puisse nuire à leur image auprès des autres membres de l’équipe ou à la cohésion de l’ensemble.

Accablez les anciens
La cohésion peut hélas dépasser les limites humaines de l’équipe en poste. Les anciens pourraient être une autre menace de maintien d’un lien social. Pour assurer l’absence totale de contact avec ceux qui sont partis- qui pourraient devenir dangereusement subversifs- un bon anti-manager doit absolument salir leur image et insinuer le doute quant à ce qu’ils étaient vraiment. La raison de leur départ doit donc être entièrement imputée à un manque extrême de capacités ou à une réelle volonté de nuisance contre l’équipe toute entière. Accusez- les de tous les défauts du monde, démontrez leur malhonnêteté supposée « il a fait de fausses notes de frais », « il a menti sur ses activités réelles», « il a passé des commandes sans mon accord », « il a volé des codes critiques », moquez-vous d’eux de manière aussi récurrente que cruelle « oh là là, tu te souviens quand X était là ? Elle ne savait pas s’habiller, c’était affligeant ! De toute façon elle n’était bonne à rien, heureusement qu’elle est partie» et n’hésitez pas à dramatiser les conditions de leur départ afin de noircir encore leur image « il a voulu me frapper », « il a fait un scandale dans le cabinet d’avocat, ils ont dû le sortir de force ». Posez-vous à chaque fois en victime afin que votre équipe n’ait d’autre choix que de vous croire et vous soutenir, laissant les anciens au pilori auquel vous les avez assignés.


3- Faire naitre des divisions

Au-delà de semer le trouble et de limiter les liens sociaux, l’anti-management recommande de créer de réelles jalousies au sein de l’équipe, éradiquant de manière plus durable le risque de cohésion. Quelques conseils pour y parvenir :

Créez des tensions internes
Dans la logique des méthodes précédemment décrite, allez un cran plus loin en lançant cette fois-ci des rumeurs visant à générer des sentiments négatifs à l’égard de certains membres de l’équipe, en jouant sur la méfiance ou la culpabilité selon les personnes, « Hier, X s’est mise à pleurer, elle n’en peut plus de toi et de ton travail mal fait »,  « Tu sais, vous n’êtes pas tendre entre vous, je ne vais pas te répéter ce que X m’a dit sur toi mais sincèrement il y a des personnes qui sont peu solidaires dans cette équipe ». Ajoutez à cela des comparaisons dépréciatives de votre propre jugement, toujours de manière injustifiée et non constructive, comme «je ne comprends pas, X a deux ans de moins que toi mais elle fait cela bien mieux », « Y écrit beaucoup mieux anglais que toi », « hier, Z est resté jusqu’à 2h du matin, on a donc terminé le projet après ton départ », et vous aurez encore entamé un peu plus la prétendue solidarité qui pourrait régner au sein de votre équipe.

Soyez absolument partial
Pour achever le processus de destruction du tissu social en gestation et générer de véritables jalousies, un bon anti-manager doit s’attacher à mettre en place de manière systématique des traitements différenciés répondant à des logiques incohérentes. Vous devez pour cela brouiller les règles de succès ou d’échec, c’est-à-dire qu’un même comportement vous fera hurler chez quelqu’un et sourire avec indulgence chez son voisin- si possible sous les yeux de tous afin de rendre plus criante l’injustice. De même un travail de qualité égale sera selon la personne qui le rend parfois déchiré rageusement, parfois rendu avec un sourire encourageant et quelques petits conseils d’améliorations, là encore sans règles apparentes, agissez à l’instinct et vous serez certain du résultat. Les meilleurs anti-managers recommandent également de faire régulièrement payer toute l’équipe pour l’erreur d’une personne, en les forçant à annuler leur week-end par exemple : ressentiment immédiat garanti. Les bonus, grand moment de compétition interne, seront toujours une excellente occasion de générer des frustrations et comparaisons négatives, en vous efforçant d’« oublier » les efforts intense d’un de vos collaborateurs pour récompenser grassement son binôme sur le projet. Vous prendrez soin d’omettre soigneusement toute évaluation de performance écrite et de ne fixer aucun objectif par écrit, ou alors assez vague pour être le sujet servile de votre interprétation en fin d’année. Enfin, lors de la répartition des projets « convoités », veillez à ne tenir aucun compte des mérites ou des efforts des différents membres de l’équipe, mais choisissez sur le moment ceux qui ont fait montre du plus haut degré d’obéissance ou qui sont fraichement arrivés. Ne vous gênez surtout pas pour changer d’avis à la dernière minute et évincer du projet de manière totalement arbitraire une personne pour la remplacer par une autre, ce qui aura le mérite de la faire écumer de rage. Favorisez une personne que vous jugez plus vulnérable que les autres, vous aurez de fortes chances de la faire craquer par ce simple geste.

Ayez en permanence un chouchou et un bouc émissaire
Pour porter le coup de grâce aux tentatives de cohésion de votre équipe et accentuer les tensions internes, rien n’est plus efficace en anti-management que d’avoir un chouchou et un bouc émissaire. Et d’agir de manière ouvertement biaisée à leur égard, en négatif ou en positif. Le ou la chouchou- autant que possible un nouveau venu pour faire écho à la Leçon Nº1- aura droit à tous les traitements apparents de faveur de votre part, invitations au restaurant, projets intéressants, éloges publiques quant à la qualité de son travail et de son potentiel. Portez le aux nues de manière écœurante, mentionnez même que vous vous « reconnaissez en lui/elle ». Cependant vous prendrez soin de vous assurer de son dévouement total avant de lui attribuer cette fonction-qui n’a vocation qu`à démotiver le reste de l’équipe et non à l’encourager lui, sinon à se sentir supérieur pour mieux tomber plus tard. Le fait de choisir une personne du sexe opposée et plutôt attirante ne fera qu’attiser la haine envers lui/elle.
A l’inverse, votre bouc émissaire aura droit à un langage verbal et un comportement de votre part que vous auriez face à un ordinateur en panne soudaine, à un chien fouillant dans vos poubelles ou encore à une colonie de blattes. N’épargnez donc pas vos efforts pour l’accabler, lui hurler dessus et lui enlever la moindre possibilité de succès. Même en son absence, il doit être tenu pour responsable de vos principaux maux. Tout ce qui peut lui nuire est bon. Là encore, aucune logique ne doit être déchiffrable quant à vos critères de sélection. Et il est bien entendu que si ces deux rôles doivent être en permanence remplis, ils ne doivent rester attachés à la même personne que tant que cela sert vos objectifs. Si un élan de solidarité semble amener l’équipe à vouloir soutenir le bouc ou s’allier contre le favori, rebattez les cartes et assignez le rôle de favori à l’élément fédérateur, il changera vite d’avis…



Ces quelques principes supplémentaires mis en application, les membres de votre équipe n’auront plus ni protection interne (voir Leçon Nº4) ni appui externe. Ayant à ce point déjà franchi l’étape d’amorçage avec le départ plus que probable d’un de vos boucs émissaires, le processus de destruction systématique de l’équipe n’aura plus qu’à suivre son cours et vos directions.

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