Image courtesy of Ambro/Freedigitalphotos.net
À présent que votre
équipe a commencé sa descente, il faut l’accélérer. Vous leur avez enfin mis la tête
dans la fange, elle n’en doit plus sortir. Dans ce but, une méthode très simple
consiste à éveiller chez eux toutes les émotions négatives et destructrices
possibles, colère et dégoût en tête. Comme vous l'avez compris, c’est votre rôle principal en tant qu'anti-manager de générer ces émotions. Et pour cela une des pratiques phare de l'anti-management consiste à jouer à outrance de la
position de tyran absolu- et peu éclairé- et de les rabaisser en permanence afin
d’attiser d'une part leur peur et leur soumission, mais aussi et surtout leur haine et
leur frustration.
Voici quelques conseils pratiques :
1- Montrer qui est le
maitre
Tout manager qui se respecte règne seul et sans
contrainte. Il n’y a qu’ainsi que vous pourrez extraire définitivement de votre
équipe tout son suc vital. Pour vous comporter de la sorte, différentes
pratiques sont recommandées par l’anti-management :
Soyez maitre de la connaissance
Il va de soi que vous avez la science infuse, il est donc
logique de le faire rapidement comprendre à votre équipe et de renforcer votre
autorité absolue par cet atout majeur. Vous ne prenez ici pas trop de risque
puisque vous avez pris soin de choisir une équipe jeune et avec peu
d’expérience dans votre domaine (cf Leçon N1). Sans trop les leur transmettre
comme indiqué en leçon N6, étalez vos connaissances dès que l’occasion se
présente, en particulier si cela vous permet de contredire ou d’humilier
publiquement une personne de l’équipe. Montrez à cette occasion qu’ils vous
sont grandement inférieurs et n’ont d’autre choix que de vous écouter. Et ne
vous cantonnez pas aux connaissances techniques de votre métier que vous saurez
faire valoir à souhait, profitez de la moindre opportunité pour donner des leçons
de morales à vos collaborateurs. Expliquez leur avec dédain qu’ils ne
connaissent rien à la vie ni au monde, qu’ils ne sont que des bleus, des naifs,
des béni-oui-oui qui n’iront nulle part s’ils ne suivent pas vos conseils d’expert,
justifiant ainsi qu’ils vous obéissent aveuglément-mais pas de bonne grâce.
Réprimez toute critique
Le corollaire du point précédent sera bien sûr un refus
absolu et catégorique de toute forme de critique. Prenez le plus grand soin de
ne jamais vous exposer à une critique qui ne puisse être immédiatement reportée
sur quelqu’un d’autres, et utilisez votre autorité pour remettre à sa place le
premier qui aurait l’audace de remettre en question vos jugements ou vos connaissances.
En dernier recours, utilisez votre prétendue expérience comme argument
définitif « ca fait 10 ans que je travaille dans ce domaine, donc je sais
très bien de quoi je parle ». Arguant que vous êtes susceptible, ne
laissez même pas la porte ouverte à la moindre plaisanterie qui pourrait faire
allusion à une possible faiblesse de votre part. Vous n’avez aucune faiblesse,
ce sont les autres qui sont faibles. Et l’humour est de toute façon mal-venu
dans votre entourage, sauf s’il s’agit de se moquer méchamment d’un absent ou
d’un ancien, ce dont vous vous priverez rarement. Par contre montrez-vous bien
faussement intéressé par le feedback afin d’obtenir- par défaut, les critiques
étant omises- les louanges que vous méritez. Vous prendrez évidemment bien soin
de ne jamais les partager ni les rendre- ou alors de manière calculée comme
présenté dans la leçon N 5. C’est un excellent moyen de générer une frustration
écœurante, ingrédient nécessaire à la démotivation de votre équipe
Humiliez ceux qui résistent
Pour parfaire votre autorité absolue, vous aurez soin de
punir publiquement et de manière disproportionnée les manquements à votre
autorité. Vous pouvez pour cela utiliser la palette complète des armes à la
disposition d’un anti-manager, en commençant par la simple douche de hurlement pour
y ajouter milles petites humiliations comme les enlever des projets en vue,
leur donner des tâches rébarbatives et leur faire recommencer trois fois leur
travail. Si un des membres de l’équipe fait la forte tête et cherche plusieurs
fois à vous contredire, passez à la vitesse supérieure et rappelez-le à l’ordre
avec un avertissement pour insubordination, menaçant de le mettre à pied à la
prochaine incartade. Si un autre ose vous répondre un peu sèchement lorsque
vous lui faites un reproche-forcément justifié, donnez-lui un blâme pour manque
de respect de la hiérarchie et faites le lui signer devant témoin. Et ajoutez-y
une couche en les couvrant d’opprobre dès qu’ils sont absents.
Peu oseront se mesurer à votre autorité, tous en seront
ulcérés. C’est bien l’effet recherché.
2- Les remettre à
leur place
Il est capital d’entrée de jeu de poser les règles et le
rôle de chacun. Si vous êtes un despote et eux vos servants, il faut vous
comporter comme tel. Pour cela trois aspects sont clés :
Donnez-vous de l’importance
Il vous faut tout d’abord faire comprendre à votre équipe
et au monde ce que vous valez. Pour commencer il ne vous sera pas difficile
d’augmenter la valeur de votre expérience en narrant avec force détails les
hauts faits de votre carrière que nul n’ira vérifier, de vous attribuer tout le
mérite des projets auquel vous avez contribué en tant qu’assistant et d’y
ajouter une liste déroutante de grands noms que vous direz compter parmi vos
« amis » (il suffira pour acquérir ce titre que vous leur ayez un
jour serré la main ou qu’ils aient travaillé dans le même département que
vous). Il va de soi que vous trouverez toutes les raisons du monde pour ne pas
« déranger » ces prétendus « amis » lorsque votre équipe
trouverait judicieux d’en faire usage. Au-delà de votre passé, c’est votre
attitude au quotidien qu’il faut travailler. Ayez un train de vie dispendieux
(ce qui n’est pas incompatible avec une attitude incroyablement pingre quand il
s’agit de dépenser de l’argent pour l’équipe), parlez de vos vacances à Megève
ou une Nouvelle-Calédonie, exigez de ne voyager qu’en première classe au frais
du client (tout en harcelant les compagnies aériennes qui vous aurait spoliées
de quelques miles) et réservez des hôtels et des restaurants de grand luxe pour
vous. Demandez toujours à parler au responsable et prétendez n’accepter les
rendez-vous qu’avec les personnes au moins au même rang que vous- si possible
les PDG.
Dans la même ligne d’action, refusez les clients qui
ne vous payent pas largement au-dessus des prix du marché, répondant
dédaigneusement que si d’autres sont prêts à payer le prix fort, vous ne leur
ferez certainement pas de rabais. De même snobez les invitations à des
tables-rondes si vous n’êtes pas payé plusieurs milliers d’euros pour faire partager
votre expertise unique, et reprochez à votre équipe d’avoir ne serait-ce que
suggéré que vous alliez y perdre votre temps.
Adressez-vous à eux comme à des valets
Rien de tel pour excéder les gens que de les remettre
constamment à leur place. Vous avez parfaitement conscience de votre valeur et
de celle- le plus souvent absente- des autres. Faites donc sentir
régulièrement à votre équipe qu’ils sont d’un rang inférieur. Pour cela
l’anti-management recommande d’adopter une attitude hautaine quand vous êtes en
leur présence, surtout s’ils viennent vous demander un service ou solliciter
une faveur, et de refuser régulièrement en leur rappelant la place et le rôle
qui sont les leurs. Et d’une manière générale puisqu’ils sont vos subalternes
adressez-vous à eux de manière très directive et sans jamais prendre de gants
ni y mettre les formes, ménager leur affect ou leur ego n’a aucun intérêt. Au-delà
e l’impératif qui sera votre mode usuel, faites grand usage du « je veux»,
« j’exige» et des qualificatifs de temps « immédiatement »,
« tout de suite ». Donnez-leur vos ordres comme s’il s’agissait de
vos valets, d’un ton sec et abrupt, et au moindre manquement rabrouez-les sans
plus de manières. Inutile donc de les remercier lorsqu’ils vous rendent un
service ou accomplissent vos ordres, ils ont signé leur asservissement en
entrant. Vous devriez ainsi réussir, après avoir brisé leur confiance en eux
dans la leçon N6, à diminuer encore un peu leur amour-propre.
Méprisez le reste du monde
Et pour encore accroitre l’écart entre vous- les hautes
sphères- et le reste de l’humanité- dont votre équipe-, il est recommandé de ne
pas parler à la piétaille non productive qui gravite autour de vous (femme de
ménage, chauffeur de taxi, serveurs, responsables de SAV ou autres être à peine
plus importants que des animaux), sinon pour violemment s’en prendre à eux dès
que l’occasion se présente, en demandant toujours d’abord à parler à leur
responsable avant de leur donner toutes les raisons de regretter d’avoir été en
face de vous. Les prestataires qui vous sont indispensables seront légèrement
au-dessus sur l’échelle de vos valeurs mais se situeront encore souvent assez
bas pour que vous puissiez déverser sans ménagement votre bile lorsqu’ils ne
vous satisfont pas pleinement. Vous veillerez en contraste à être tout miel et
tout sourire lorsque vous parlerez au client qui paye, tout en lui faisant bien
comprendre que vous détenez la vérité et qu’il aurait tout intérêt à l’accepter
d’office car vous n’hésiterez pas à le remettre à sa place s’il cherche à vous
contredire- tout en accusant ensuite votre équipe d’être responsable de l’échec
de la rencontre le cas échéant. De même si d’aventure vous y participez à une
table ronde, soyez dogmatique et inflexible, montrant à tous les autres
intervenants leur inutilité autour de la table- petite astuce efficace :
oubliez le nom des autres intervenants quand vous parlez d’eux, rien de tel
pour leur faire sentir combien ils sont insignifiants.
3- Déprécier leur
travail
Dévalorisez leur poste
Rien n’est plus important dans l’anti-management que
l’injuste répartition des tâches.
Si vous les avez attirés avec les promesses d’un travail
riche et divers aux perspectives épanouissantes, sachez rapidement remettre les
pendules à l’heure sur le contenu de leur poste. Toute tâche qui n’est pas
digne de vous- c’est-à-dire tout ce qui demande du temps, de l’énergie ou de la
réflexion, est de leur ressort. Il est clair que vous ne ferez rien qui vous
ennuie. D’ailleurs, autant que faire se peut vous ne produirez rien du tout,
votre fonction d’anti-manager étant amplement suffisante à emplir vos journées.
Les seules exceptions étant pour les tâches plaisantes comme aller déjeuner
avec des prospects, vous pavaner dans des soirées de networking ou faire les
présentations finales au client. Eux doivent produire, sans relâche et sans
faute. Vous devez avoir en tête et leur rappeler régulièrement que ce n’est pas
votre rôle mais le leur de rester tard le soir ou de faire toutes les tâches
rébarbatives ou fastidieuses. Et que le manque d’intérêt de leur poste est la
directe conséquence de leur absence de productivité- ajoutant une couche de
culpabilité à leur stress. Qu’importe ce qu’ils avaient en tête en arrivant, vous
leur payez un salaire conséquent, donc considérez et faites leur savoir que
leur disponibilité absolue est un dû. Et pour encore rabaisser leur ego, demandez-leur
d’ailleurs régulièrement de vous rendre des services avilissant comme vider
votre poubelle, réparer vos ampoules, débarrasser vos plateaux-repas, préparer
vos sacs etc, arguant une fois de plus que ce n’est pas à vous de faire cela.
Leur estime d’eux même diminuera rapidement.
Discréditez leur production
Au-delà de leur fonction c’est bien entendu leur
production qu’il faut dévaloriser. Comme expliqué dans les leçons précédentes,
quoi que son équipe produise, ce ne sera jamais assez bien pour un bon
anti-manager. Veillez donc à constamment critiquer, reprendre, corriger ce produisent.
Tout travail présenté devant vous doit repartir pour être fortement amélioré.
Lorsque vous ne voyez plus de fautes de fond « il est où le fil rouge ?
Je ne comprends rien à ton rapport ! », attaquez-vous à la langue « on
ne dit pas ça comme ça en anglais » ou à la forme « mais pourquoi tu as
mis ce bleu ? ». Bien entendu faites en sorte que vos critiques
soient aussi dévalorisantes que peu constructives « Nul », «Non, ce n’est
pas ça du tout », « Inacceptable », afin de vous assurer de
pouvoir les resservir au tour suivant- où vous aurez exigez qu’ils fassent « le
mieux dont ils sont capables » pour encore leur montrer du doigt leur
incapacité. Pensez à augmenter en
permanence les exigences pour vous assurer de toujours avoir à redire sur ce qu’ils
font, en comparant avec ce que vous pourriez faire « en 10min je l’aurai
terminé », mais ne ferez jamais «Ce n’est pas mon rôle ». Faites régulièrement des reproches en public
ou en haussant la voix pour que tous entendent votre ton exaspéré « c’est
de la m*** ton travail ». Et à la moindre occasion corrigez aussi ce qu’ils
disent, coupez-les dans leurs élans pour les reprendre « ce n’est pas le
ton adapté », « ton message n’est pas clair » en leur faisant sentir
à quel point ils sont mauvais même à l’oral. Vous serez ainsi certain d’avoir
coupé toute possibilité de fierté ou de satisfaction de leur travail.
Attribuez-vous leur mérite
Et pour donner le coup de grâce, attribuez-vous tout leur
mérite. En tant qu’anti-manager il est clair que tout ce qui a pu sortir de bon
de votre équipe est de votre fait, il est donc normal de n’en pas partager le
mérite avec eux. Pour cela, commencez par revendiquer la parentalité de toute
leur production en faisant un usage excessif du pronom possessif : «je
veux mon rapport », «tu as fini mes analyses ? » « Ca
fait une heure que tu es dessus, ou est ma présentation? Je la veux sur
mon bureau dans 5min». Et lorsqu’un
client est satisfait de cette production, vous ne verrez aucune raison de
changer de pronom. Autant que possible présentez vous-même le travail de votre
équipe- vous savez trop bien qu’ils seraient incapables de présenter aussi bien
que vous, faites-vous remercier pour le travail bien fait, faites-vous mousser
sur les découvertes de votre équipe et si le client nomme directement un membre
de votre équipe, expliquez que vous avez travaillé ensemble ou que vous lui avez
directement dicté le contenu. Si vous signez un nouveau contrat, mettez en
valeur vos qualités de négociation et non leur travail de préparation. Si on invite
un membre de votre équipe à un évènement prestigieux pour y parler de son
travail, exigez d’y aller avec lui ou à sa place. Dans la même logique si d’aventure
un membre de votre équipe vous soumet une bonne idée, rejetez la immédiatement
comme toute idée ne venant pas de vous mais arrivez le lendemain, radieux(se),
en annonçant que vous avez eu une idée brillante ce matin sous la douche et que
vous voudriez savoir ce que toute l’équipe en pense. Niez absolument avoir eu
la conversation précédente avec son auteur réel. Rien de tel pour les mettre en
rage.
Vous aurez ainsi éliminé la possibilité pour votre équipe
de relever la tête, vous permettant d’augmenter encore un peu plus leur
étouffement et leur souffrance, approchant à grand pas de leur destruction
programmée.