Les bases de votre travail de sape étant posées, il vous
faut les consolider. Une règle fondamentale de l’anti-management stipule que là
où votre équipe réussit, vos efforts échoueront. C’est pourquoi il convient de
scrupuleusement maintenir en situation d’échec aussi bien votre équipe dans son
ensemble que chacun de ses membres individuellement.
L’échec, en tant qu’anti-manager aguerri, vous ne l’avez
bien entendu jamais connu, puisque ce sont toujours les autres qui ont échoué
ou délibérément fait échouer vos projets. Afin de maintenir votre force
distinctive, votre pouvoir unique, il vous faut donc vous assurer que ce seront
perpétuellement les membres de votre équipe qui échoueront. Tous, sauf vous.
1- Les mettre en situation
difficile
Pour commencer il convient d’exposer votre équipe à
l’échec. La leçon Nº1 vous ayant permis de recruter un certain nombre de bons
éléments, ils n’échoueront pas tous spontanément- du moins pas dans les
premiers temps. Votre travail d’anti-manager consiste donc à favoriser les
situations d’échec, et voici quelques conseils pour y parvenir :
Ne les formez pas
Une première règle qui tombe sous le sens est de vous
assurer que les membres de votre équipe en savent le moins possible sur ce qui
les attend et à plus forte raison sur ce que vous attendez d’eux (hormis le
très général : de la performance et du résultat). Sous couvert de manque
de temps et de « formation sur le tas », omettez donc le training
initial posant les fondations de leur poste. Il est évident que vous aurez pris
soin de ne jamais préparer de manuel d’accueil des nouveaux arrivants et de ne surtout
pas formaliser sur papier les règles de base pour mener à bien leur travail. Promettez-leur
avant qu’ils signent un séminaire de formation, des interactions avec des
experts, et veillez pour des prétextes variés à ne jamais les matérialiser. Et
même une fois sur le terrain, donnez-leur les consignes les plus vagues
possibles, et autant que possible n’élicitez la règle qu’une fois qu’ils l’ont
enfreinte, en particulier toutes les règles implicites qu’un bon collaborateur
doit savoir mais ne peut deviner. Les ficelles du métier doivent rester une
pelote indémêlable pour eux, ce que vous ne manquerez pas de leur reprocher
vertement à la moindre occasion.
De la même manière, ne permettez aux
« séniors » (qui n’auront jamais, si vous êtes un bon anti-manager,
plus d'un an d’ancienneté) de ne transmettre que le strict nécessaire de ce
qu’ils ont eux-mêmes laborieusement appris, en adaptant leur charge de travail
à la hausse si nécessaire.
Confiez-leur des
missions impossibles
Ensuite, il va de soi que l’échec sera d’autant plus
probable que la tâche est difficile. Sous couvert de responsabilisation
confiez-leur des tâches dont vous savez qu’ils ne peuvent les effectuer, comme faire
un plan d’action pour développer un nouveau produit dans un domaine inconnu
pour eux, prendre la tête d’un projet qu’ils n’ont jamais fait de leur vie, générer
un chiffre d’affaire de 300 000€ six mois après leur arrivée, décrocher un
rendez-vous avec un PDG du CAC40 etc. Prenez bien soin de les mettre dans un
contexte qui n’est pas le leur et qui correspond le moins possible à leurs
qualités intrinsèques : sous prétexte de les faire développer de nouvelles
compétences donnez à un créatif les tâches rébarbatives demandant la plus
grande rigueur, à un social une tâche fastidieuse à effectuer seul etc. Ils n’en
seront que moins performant.
Autant que possible, limitez les templates ou les modèles
de documents qui pourraient leur faciliter la tâche, et évitez de faire
circuler, toujours sous couvert de confidentialité ou de pédagogie, les
produits finis de missions similaires. Ils doivent repartir de zéro (et y
retourner).
Et si la tâche s’avère être réalisable, assurez-vous que
les délais ne le soient pas, en réclamant de répondre à un énorme appel d’offre
en 48h, de changer et réimprimer toute une présentation 30min avant votre
départ etc. Votre seul objectif est de vous assurer que la mission n’est pas
humainement faisable mais le paraisse suffisamment pour que vous puissiez le
leur reprocher.
Envoyez-les au
charbon
Enfin il convient d’exposer votre équipe plutôt que dès qu’il se présente une
situation délicate ou un risque d’échec. Un bon anti-manager a toujours avec
lui un ou plusieurs boucliers humains, c’est à cela que l’équipe sert. Si un
client est difficile ou se plaint, c’est votre collaborateur qui devra
converser avec lui et non pas vous. S’il vous faut répondre à une question à
laquelle vous n’avez pas de réponse, vous aurez soin de la poser vous-même et
avec le ton approprié (c’est-à-dire sec et accusateur) à votre collaboratrice. S’il
faut donner un feedback très négatif à un collaborateur remonté contre vous,
vous trouverez un émissaire. S’il faut négocier les délais de paiement avec un
fournisseur, c’est encore un collaborateur qui s’en chargera- sauf dans un cas
où vous auriez besoin de déverser un peu de votre bile échauffée et ferez
regretter au fournisseur en question d’avoir un jour eu le malheur d’honorer
votre commande. Arrangez-vous dans ce cas pour le faire en public, l’effet n’en
sera que meilleur.
2- Les conditionner à l’échec
Au-delà des situations, l’état d’esprit joue un rôle
prépondérant dans la capacité à réaliser ou non une mission. Une personne qui croie
qu’elle peut réussir à de fortes chances d’y arriver. C’est votre détermination
en tant qu’anti-manager qui vous permettra d’atteindre vos objectifs de
destruction. C’est donc cette même détermination qu’il faut ôter à votre
équipe. Quelques suggestions efficaces dans ce sens:
Sapez leur
confiance en eux
L’avantage que vous avez sur votre équipe est que vous
êtes et avez toujours été le seul juge de vos capacités- les autres étant
incapables de les apprécier. Si vous avez bien suivi les conseils de la leçon Nº1
en les prenant au berceau, votre équipe
n’est pas dans ce cas et a donc besoin de votre appréciation pour jauger des
leurs. Dès lors il est votre devoir de diminuer considérablement leur confiance
en eux en leur laissant progressivement et subtilement entendre que vous ne
croyez pas (ou plus) en leurs capacités. Le terme « subtilement » est
ici important car pour aller vers l’échec, il faut qu’ils croient dans un
premier temps qu’ils sont capables de mener à bien le projet demandé, sans quoi
ils n’essaieront même pas. A vous de savoir jouer de l’encouragement
paternaliste « vu ton niveau d’étude, je suis sûre que tu es capable de
terminer ce document d’ici demain », « je compte sur toi pour me
rendre un travail à la hauteur de ton expérience », « je sais que te
pousse mais c’est parce que je sais que tu peux mieux faire » avant d’utiliser
des suggestions limitantes « cette fois-ci j’espère que tu feras mieux,
j’étais vraiment déçue par ce que tu m’as rendu la dernière fois »,
« vu ton niveau de salaire j’attendais mieux de ta part » et même
ouvertement dépréciatives « ta performance est en baisse constante depuis
plusieurs mois », « tu ne m’as rien rendu d’acceptable depuis des
semaines, parfois je me demande ce que tu fais ». Cette gradation entrainera
sans faute leur dégradation.
Générez une
obsession de l’erreur
Comme chacun sait, le cerveau humain ne fonctionne que
par représentations mentales et ne peut se représenter la négation. Un bon
anti-manager, qui a naturellement intégré toutes les dimensions de la
psychologie et de la manipulation pouvant servir ses fins, sait donc maintenir
en permanence une représentation de l’échec (et plus précisément de leur propre
échec) dans l’esprit de chaque membre de son équipe. Pour cela il faut sans
cesse mettre l’accent sur l’échec et faire visualiser ses conséquences. Tout
comme un enfant a plus de chances de tomber si on lui dit « ne tombe
pas ! », plus ils seront focalisés sur les erreurs ou les échecs et
plus ils auront de chance de les commettre. Pour cela il est de bon usage de
constamment pointer du doigt les possibles fautes qu’ils pourraient commettre
en leur demandant avec insistance de ne surtout pas les faire. Et rappelez
régulièrement toutes les possibilités d’échouer ou de se tromper que comportent
leurs projets, en suggérant qu’il ne vous étonnerait pas tellement qu’ils en
saisissent une. Même si leur conscient se défend ne vous inquiétez pas, leur
inconscient aura enregistré le message et vous n’aurez plus qu’à attendre leur
chute pour les cueillir et les pourrir.
Cultivez leur peur
de l’échec
Enfin, pour enfoncer le clou, il convient de créer une
véritable phobie de l’erreur qui sera un facteur de plus d’impossibilité de
mener à bien leurs missions puisqu’ils seront paralysés par la peur de mal
faire. Il convient donc de toujours sévèrement
punir la moindre erreur, et de le faire en public pour mieux accabler son
auteur et augmenter la peur. N’hésitez pas à sortir de vos gonds pour une
phrase mal écrite, à hurler des insanités pour un document en retard, à
dévaloriser l’ensemble du travail du fautif si une page ne vous convient pas
etc. Allez jusqu’à dire que tout son travail est de la m***, que vous ne savez
pas à quoi vous le payez, bref tout ce qui peut contribuer à créer un climat de
terreur pendant leur journée de travail. Les meilleurs anti-managers
recommandant d’utiliser de temps en temps à l’encontre d’un collaborateur une
colère froide et sourde sans justifier le point particulier qui l’a provoquée,
laissant ainsi le collaborateur en proie aux doutes les plus affreux sur
l’erreur qu’il a pu commettre. Et, pour encore accentuer la peur, soyez
imprévisibles : pour la même erreur soyez selon les jours ou les personnes
modéré et pédagogue ou excédé et violent. Cela augmentera encore leur
appréhension à l’égard d’une faute possible, et par conséquent la probabilité
qu’ils la commettent effectivement, ouvrant la voie à votre juste ire.
3- Les pousser à la faute :
En dernier recours et lorsque les conseils précédents ne
sont pas suffisants, il convient de déclencher directement l’échec, le seul
objectif étant d’éviter qu’ils soient jamais en situation de réussite. Cela
demande une très bonne maitrise de l’anti-management, ce qui à votre stade et
si vous avez su appliquer les leçons précédente ne devrait plus être un
problème. Quelques astuces utiles issues des travaux d’anti-managers
émérites :
Changez les règles
du jeu
La première astuce pour vous assurer que votre équipe ne
peut pas réussir consiste à durcir les règles du jeu et augmenter vos exigences
au fur et à mesure qu’ils progressent. L’idée étant de vous assurer que la
barre sera toujours assez proche pour qu’elle paraisse accessible, et
suffisamment loin pour qu’elle ne le soit jamais. Cette astuce est d’autant
plus facile à appliquer que vous aurez pris soin de ne pas énoncer les règles
au départ. Ainsi face au résultat vous pourrez décider des règles qui vous
paraissent appropriées pour attester qu’il y a face à vous un échec notoire et
évident. Et qu’importe si ces règles ne s’appliquent pas à d’autres, ne
s’appliquaient pas avant ou- comme c’est normalement le cas- ne s’appliquent
pas à vous. La seule chose qui compte c’est de mettre en évidence le manquement
inacceptable à cette règle, avant de la rappeler avec assertivité comme si elle
constituait la base du travail demandé, d’où les reproches associés. « Ou
as-tu mis les cinq documents imprimés pour toute l’équipe pour ce point ?
.... Comment ?! mais c’est la première chose qu’un chef de projet doit
faire quand il veut parler d’un sujet ! ». La suggestion implicite de
cette question- à savoir qu’ils connaissaient la règle et viennent donc
délibérément de l’enfreindre- vous assure leur désarroi le plus profond, pensez
donc à laisser quelques secondes de silence en regardant avec défiance la sueur
couler sur leur front. Tétanisés par la peur de votre réaction, pas un instant
ils ne songeront à remettre en question la nouvelle règle, acceptant
immédiatement la position d’échec que vous leur attribuez.
Induisez-les en
erreur
Une autre astuce efficace consiste à les induire en
erreur en leur communicant une information incomplète ou erronée et en omettant
de la corriger jusqu’à ce que vous ayez leur travail fini sous les yeux. Que ce
soit l’objectif précis du document, le travail qui a déjà été fait, ce qui a
été décidé avec le client etc, vous saurez donc pertinemment qu’ils avancent
sur des bases qui ne sont pas les bonnes mais vous retiendrez bien de le leur
dire avant la fin, où vous leur reprocherez vertement de ne pas être allé
chercher la bonne information ou de ne pas avoir vérifié, quitte à nier
l’information donnée au début (en vous assurant que tout a été donné à l’oral).
L’effet de désespoir est garanti.
Faites-leur porter
le chapeau
La dernière astuce, et qui là aussi ne peut être utilisée
que par les meilleurs anti-managers, consiste à accuser un membre de l’équipe
de fautes commises par d’autres ou par vous. De fait, vous ne pouvez pas en
tant qu’anti-manager faire partie d’une situation d’échec : si quelque
chose ne va pas il est clair que quelqu’un d’autre est responsable, et vous
n’hésiterez pas à créer des règles ad hoc pour cela. Votre collaborateur est
responsable de votre retard car il ne vous a pas rappelé à quelle heure était
la réunion ou parce qu’il aurait dû imprimer et vous donner un plan du lieu de
rendez-vous, votre assistante est la cause du fait que vous n’avez pas pris le
bon vol car elle ne vous a pas enregistré en ligne, etc. Et si vous perdez
l’appel d’offre c’est uniquement à cause de celui qui n’a pas voulu passé la
nuit blanche à terminer le document pour l’envoyer deux heures plus tôt. Si vous
êtes absente c’est l’équipe qui est responsable du retard accumulé. Toute
possibilité de leur reprocher vos erreurs est à saisir. La mauvaise foi la plus
écœurante est ici de mise, et n’a pas de limite à condition que vous ayez l’aplomb
et l’agressivité qui vous permette de la soutenir. Eux ne sauront soutenir cela
longtemps.
L’homme étant ainsi fait qu’il ne peut garder longtemps la
tête hors de l’eau dans l’échec, soyez assuré qu’en appliquant bien cette leçon,
un ou plusieurs membres de votre équipe se saborderont et quitteront, détruits
et brisés, le poste pour lequel ils n’étaient absolument pas adaptés, comme vous
ne manquerez pas de le rappeler d’un air dédaigneux en les laissant s’en aller.
Et votre œuvre d’anti-manager continuera à se concrétiser…