Comment tuer son équipe en 10 leçons? Leçon Nº6: Les maintenir dans l'échec

Les bases de votre travail de sape étant posées, il vous faut les consolider. Une règle fondamentale de l’anti-management stipule que là où votre équipe réussit, vos efforts échoueront. C’est pourquoi il convient de scrupuleusement maintenir en situation d’échec aussi bien votre équipe dans son ensemble que chacun de ses membres individuellement.
L’échec, en tant qu’anti-manager aguerri, vous ne l’avez bien entendu jamais connu, puisque ce sont toujours les autres qui ont échoué ou délibérément fait échouer vos projets. Afin de maintenir votre force distinctive, votre pouvoir unique, il vous faut donc vous assurer que ce seront perpétuellement les membres de votre équipe qui échoueront. Tous, sauf vous.

1- Les mettre en situation difficile
Pour commencer il convient d’exposer votre équipe à l’échec. La leçon Nº1 vous ayant permis de recruter un certain nombre de bons éléments, ils n’échoueront pas tous spontanément- du moins pas dans les premiers temps. Votre travail d’anti-manager consiste donc à favoriser les situations d’échec, et voici quelques conseils pour y parvenir :

Ne les formez pas
Une première règle qui tombe sous le sens est de vous assurer que les membres de votre équipe en savent le moins possible sur ce qui les attend et à plus forte raison sur ce que vous attendez d’eux (hormis le très général : de la performance et du résultat). Sous couvert de manque de temps et de « formation sur le tas », omettez donc le training initial posant les fondations de leur poste. Il est évident que vous aurez pris soin de ne jamais préparer de manuel d’accueil des nouveaux arrivants et de ne surtout pas formaliser sur papier les règles de base pour mener à bien leur travail. Promettez-leur avant qu’ils signent un séminaire de formation, des interactions avec des experts, et veillez pour des prétextes variés à ne jamais les matérialiser. Et même une fois sur le terrain, donnez-leur les consignes les plus vagues possibles, et autant que possible n’élicitez la règle qu’une fois qu’ils l’ont enfreinte, en particulier toutes les règles implicites qu’un bon collaborateur doit savoir mais ne peut deviner. Les ficelles du métier doivent rester une pelote indémêlable pour eux, ce que vous ne manquerez pas de leur reprocher vertement à la moindre occasion. 
De la même manière, ne permettez aux « séniors » (qui n’auront jamais, si vous êtes un bon anti-manager, plus d'un an d’ancienneté) de ne transmettre que le strict nécessaire de ce qu’ils ont eux-mêmes laborieusement appris, en adaptant leur charge de travail à la hausse si nécessaire.

Confiez-leur des missions impossibles
Ensuite, il va de soi que l’échec sera d’autant plus probable que la tâche est difficile. Sous couvert de responsabilisation confiez-leur des tâches dont vous savez qu’ils ne peuvent les effectuer, comme faire un plan d’action pour développer un nouveau produit dans un domaine inconnu pour eux, prendre la tête d’un projet qu’ils n’ont jamais fait de leur vie, générer un chiffre d’affaire de 300 000€ six mois après leur arrivée, décrocher un rendez-vous avec un PDG du CAC40 etc. Prenez bien soin de les mettre dans un contexte qui n’est pas le leur et qui correspond le moins possible à leurs qualités intrinsèques : sous prétexte de les faire développer de nouvelles compétences donnez à un créatif les tâches rébarbatives demandant la plus grande rigueur, à un social une tâche fastidieuse à effectuer seul etc. Ils n’en seront que moins performant.
Autant que possible, limitez les templates ou les modèles de documents qui pourraient leur faciliter la tâche, et évitez de faire circuler, toujours sous couvert de confidentialité ou de pédagogie, les produits finis de missions similaires. Ils doivent repartir de zéro (et y retourner).
Et si la tâche s’avère être réalisable, assurez-vous que les délais ne le soient pas, en réclamant de répondre à un énorme appel d’offre en 48h, de changer et réimprimer toute une présentation 30min avant votre départ etc. Votre seul objectif est de vous assurer que la mission n’est pas humainement faisable mais le paraisse suffisamment pour que vous puissiez le leur reprocher.


Envoyez-les au charbon
Enfin il convient d’exposer votre  équipe plutôt que dès qu’il se présente une situation délicate ou un risque d’échec. Un bon anti-manager a toujours avec lui un ou plusieurs boucliers humains, c’est à cela que l’équipe sert. Si un client est difficile ou se plaint, c’est votre collaborateur qui devra converser avec lui et non pas vous. S’il vous faut répondre à une question à laquelle vous n’avez pas de réponse, vous aurez soin de la poser vous-même et avec le ton approprié (c’est-à-dire sec et accusateur) à votre collaboratrice. S’il faut donner un feedback très négatif à un collaborateur remonté contre vous, vous trouverez un émissaire. S’il faut négocier les délais de paiement avec un fournisseur, c’est encore un collaborateur qui s’en chargera- sauf dans un cas où vous auriez besoin de déverser un peu de votre bile échauffée et ferez regretter au fournisseur en question d’avoir un jour eu le malheur d’honorer votre commande. Arrangez-vous dans ce cas pour le faire en public, l’effet n’en sera que meilleur.


2- Les conditionner à l’échec
Au-delà des situations, l’état d’esprit joue un rôle prépondérant dans la capacité à réaliser ou non une mission. Une personne qui croie qu’elle peut réussir à de fortes chances d’y arriver. C’est votre détermination en tant qu’anti-manager qui vous permettra d’atteindre vos objectifs de destruction. C’est donc cette même détermination qu’il faut ôter à votre équipe. Quelques suggestions efficaces dans ce sens:

Sapez leur confiance en eux
L’avantage que vous avez sur votre équipe est que vous êtes et avez toujours été le seul juge de vos capacités- les autres étant incapables de les apprécier. Si vous avez bien suivi les conseils de la leçon Nº1 en les prenant au berceau,  votre équipe n’est pas dans ce cas et a donc besoin de votre appréciation pour jauger des leurs. Dès lors il est votre devoir de diminuer considérablement leur confiance en eux en leur laissant progressivement et subtilement entendre que vous ne croyez pas (ou plus) en leurs capacités. Le terme « subtilement » est ici important car pour aller vers l’échec, il faut qu’ils croient dans un premier temps qu’ils sont capables de mener à bien le projet demandé, sans quoi ils n’essaieront même pas. A vous de savoir jouer de l’encouragement paternaliste « vu ton niveau d’étude, je suis sûre que tu es capable de terminer ce document d’ici demain », « je compte sur toi pour me rendre un travail à la hauteur de ton expérience », « je sais que te pousse mais c’est parce que je sais que tu peux mieux faire » avant d’utiliser des suggestions limitantes « cette fois-ci j’espère que tu feras mieux, j’étais vraiment déçue par ce que tu m’as rendu la dernière fois », « vu ton niveau de salaire j’attendais mieux de ta part » et même ouvertement dépréciatives « ta performance est en baisse constante depuis plusieurs mois », « tu ne m’as rien rendu d’acceptable depuis des semaines, parfois je me demande ce que tu fais ». Cette gradation entrainera sans faute leur dégradation.

Générez une obsession de l’erreur
Comme chacun sait, le cerveau humain ne fonctionne que par représentations mentales et ne peut se représenter la négation. Un bon anti-manager, qui a naturellement intégré toutes les dimensions de la psychologie et de la manipulation pouvant servir ses fins, sait donc maintenir en permanence une représentation de l’échec (et plus précisément de leur propre échec) dans l’esprit de chaque membre de son équipe. Pour cela il faut sans cesse mettre l’accent sur l’échec et faire visualiser ses conséquences. Tout comme un enfant a plus de chances de tomber si on lui dit « ne tombe pas ! », plus ils seront focalisés sur les erreurs ou les échecs et plus ils auront de chance de les commettre. Pour cela il est de bon usage de constamment pointer du doigt les possibles fautes qu’ils pourraient commettre en leur demandant avec insistance de ne surtout pas les faire. Et rappelez régulièrement toutes les possibilités d’échouer ou de se tromper que comportent leurs projets, en suggérant qu’il ne vous étonnerait pas tellement qu’ils en saisissent une. Même si leur conscient se défend ne vous inquiétez pas, leur inconscient aura enregistré le message et vous n’aurez plus qu’à attendre leur chute pour les cueillir et les pourrir.

Cultivez leur peur de l’échec
Enfin, pour enfoncer le clou, il convient de créer une véritable phobie de l’erreur qui sera un facteur de plus d’impossibilité de mener à bien leurs missions puisqu’ils seront paralysés par la peur de mal faire.  Il convient donc de toujours sévèrement punir la moindre erreur, et de le faire en public pour mieux accabler son auteur et augmenter la peur. N’hésitez pas à sortir de vos gonds pour une phrase mal écrite, à hurler des insanités pour un document en retard, à dévaloriser l’ensemble du travail du fautif si une page ne vous convient pas etc. Allez jusqu’à dire que tout son travail est de la m***, que vous ne savez pas à quoi vous le payez, bref tout ce qui peut contribuer à créer un climat de terreur pendant leur journée de travail. Les meilleurs anti-managers recommandant d’utiliser de temps en temps à l’encontre d’un collaborateur une colère froide et sourde sans justifier le point particulier qui l’a provoquée, laissant ainsi le collaborateur en proie aux doutes les plus affreux sur l’erreur qu’il a pu commettre. Et, pour encore accentuer la peur, soyez imprévisibles : pour la même erreur soyez selon les jours ou les personnes modéré et pédagogue ou excédé et violent. Cela augmentera encore leur appréhension à l’égard d’une faute possible, et par conséquent la probabilité qu’ils la commettent effectivement, ouvrant la voie à votre juste ire.


3- Les pousser à la faute :
En dernier recours et lorsque les conseils précédents ne sont pas suffisants, il convient de déclencher directement l’échec, le seul objectif étant d’éviter qu’ils soient jamais en situation de réussite. Cela demande une très bonne maitrise de l’anti-management, ce qui à votre stade et si vous avez su appliquer les leçons précédente ne devrait plus être un problème. Quelques astuces utiles issues des travaux d’anti-managers émérites :

Changez les règles du jeu
La première astuce pour vous assurer que votre équipe ne peut pas réussir consiste à durcir les règles du jeu et augmenter vos exigences au fur et à mesure qu’ils progressent. L’idée étant de vous assurer que la barre sera toujours assez proche pour qu’elle paraisse accessible, et suffisamment loin pour qu’elle ne le soit jamais. Cette astuce est d’autant plus facile à appliquer que vous aurez pris soin de ne pas énoncer les règles au départ. Ainsi face au résultat vous pourrez décider des règles qui vous paraissent appropriées pour attester qu’il y a face à vous un échec notoire et évident. Et qu’importe si ces règles ne s’appliquent pas à d’autres, ne s’appliquaient pas avant ou- comme c’est normalement le cas- ne s’appliquent pas à vous. La seule chose qui compte c’est de mettre en évidence le manquement inacceptable à cette règle, avant de la rappeler avec assertivité comme si elle constituait la base du travail demandé, d’où les reproches associés. « Ou as-tu mis les cinq documents imprimés pour toute l’équipe pour ce point ? .... Comment ?! mais c’est la première chose qu’un chef de projet doit faire quand il veut parler d’un sujet ! ». La suggestion implicite de cette question- à savoir qu’ils connaissaient la règle et viennent donc délibérément de l’enfreindre- vous assure leur désarroi le plus profond, pensez donc à laisser quelques secondes de silence en regardant avec défiance la sueur couler sur leur front. Tétanisés par la peur de votre réaction, pas un instant ils ne songeront à remettre en question la nouvelle règle, acceptant immédiatement la position d’échec que vous leur attribuez.

Induisez-les en erreur
Une autre astuce efficace consiste à les induire en erreur en leur communicant une information incomplète ou erronée et en omettant de la corriger jusqu’à ce que vous ayez leur travail fini sous les yeux. Que ce soit l’objectif précis du document, le travail qui a déjà été fait, ce qui a été décidé avec le client etc, vous saurez donc pertinemment qu’ils avancent sur des bases qui ne sont pas les bonnes mais vous retiendrez bien de le leur dire avant la fin, où vous leur reprocherez vertement de ne pas être allé chercher la bonne information ou de ne pas avoir vérifié, quitte à nier l’information donnée au début (en vous assurant que tout a été donné à l’oral). L’effet de désespoir est garanti.


Faites-leur porter le chapeau
La dernière astuce, et qui là aussi ne peut être utilisée que par les meilleurs anti-managers, consiste à accuser un membre de l’équipe de fautes commises par d’autres ou par vous. De fait, vous ne pouvez pas en tant qu’anti-manager faire partie d’une situation d’échec : si quelque chose ne va pas il est clair que quelqu’un d’autre est responsable, et vous n’hésiterez pas à créer des règles ad hoc pour cela. Votre collaborateur est responsable de votre retard car il ne vous a pas rappelé à quelle heure était la réunion ou parce qu’il aurait dû imprimer et vous donner un plan du lieu de rendez-vous, votre assistante est la cause du fait que vous n’avez pas pris le bon vol car elle ne vous a pas enregistré en ligne, etc. Et si vous perdez l’appel d’offre c’est uniquement à cause de celui qui n’a pas voulu passé la nuit blanche à terminer le document pour l’envoyer deux heures plus tôt. Si vous êtes absente c’est l’équipe qui est responsable du retard accumulé. Toute possibilité de leur reprocher vos erreurs est à saisir. La mauvaise foi la plus écœurante est ici de mise, et n’a pas de limite à condition que vous ayez l’aplomb et l’agressivité qui vous permette de la soutenir. Eux ne sauront soutenir cela longtemps.



L’homme étant ainsi fait qu’il ne peut garder longtemps la tête hors de l’eau dans l’échec, soyez assuré qu’en appliquant bien cette leçon, un ou plusieurs membres de votre équipe se saborderont et quitteront, détruits et brisés, le poste pour lequel ils n’étaient absolument pas adaptés, comme vous ne manquerez pas de le rappeler d’un air dédaigneux en les laissant s’en aller. Et votre œuvre d’anti-manager continuera à se concrétiser…