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Félicitation chers anti-managers, votre œuvre touche à sa
fin ! Vous allez enfin pouvoir goûter au plaisir enivrant- et seul à même
de vous satisfaire- de voir s’éteindre toute votre équipe-ou plus précisément ce qu’il en
reste, les plus faibles ayant déjà depuis longtemps donné leur démission et les
survivants étant en piteux état. Comme il ne faut cependant pas sous-estimer la
capacité de résilience de ces sous-êtres, seul un savant mélange de méthodes
aguerries de destruction mentale, développées par les meilleurs anti-managers,
peut vous assurer un résultat final aussi probant qu’irréversible. Elles vous
sont présentées dans cette ultime leçon.
Note de l’auteur: Si vous avez scrupuleusement
mis en application les précédentes leçons, les achever comme présenté
ci-dessous ne devrait pas être trop difficile. Si vous sentez que certains
aspects sont encore trop peu présents dans votre anti-management, il est
souhaitable d’y revenir et de mettre l’emphase dessus pendant quelques semaines
avant d’entamer cette dernière phase, au risque de déclencher une réaction de
résistance généralisée qui pourrait- provisoirement car vous avez à présent les
clés pour rétablir la situation- mettre à mal vos plans. Dans tous les cas il
est recommandé pour plus d’effet d’augmenter l’intensité de chacun des
composants décrits dans les leçons précédentes.
1- Préparer vos arrières
On n’est jamais trop prudents quand il s’agit de
parachever une œuvre. Avant le massacre final, assurez-vous de mettre toute la
mauvaise foi au service de votre projet et de votre casier judiciaire.
Même les meilleurs
anti-managers ont parfois vu leurs travaux ruinés par la stupidité de la
législation sur la protection sociale- ramassis d’inepties servant les intérêts
d’employés inutiles, incompétents et tire-au-flanc, et prétendant que le
bien-être et la justice peuvent être des composantes du travail. Aussi pénible
que cela puisse être, il vous faut prendre en compte cette réalité dans vos
projets. Fort heureusement, la législation est une machine peu efficace, il est
donc facile pour un anti-manager intelligent d’en jouer à son avantage.
Quelques conseils pour cela.
Prenez un excellent avocat
La première étape consiste évidemment à trouver un
défenseur ardent de votre cause. Choisissez pour cela un cabinet d’avocat connu
pour son agressivité et ses victoires aussi éclatantes qu’hautement
contestables. Prenez soin d’identifier au sein de ce cabinet un de vos pairs,
un anti-manager en puissance comme il y en a beaucoup dans ce milieu. Il sera
ainsi facilement apte à contrer les menaces auxquelles vous pourriez être
exposé(e), et vous saurez que vos demandes seront exécutées par son équipe dans
la nuit suivant votre appel. Pour vous attacher ses bons et loyaux services,
soyez-prêt à le payer grassement. Vous savez très bien que la loyauté n’existe
pas et que rien ne convainc mieux que le discours de l’argent, et votre avocat
saura l’utiliser à bon escient. Autre avantage d'un cabinet d’avocat très
cher : vous limitez le risque de contact entre l’un des membres de votre
équipe et le cabinet en question.
Positionnez-vous en victime
Une fois l’avocat trouvé, la première précaution à
prendre est évidemment de vous assurer qu’il n’ait d’autre source d’information
que la vôtre sur votre situation. Ensuite il faut rapidement et dès les
premiers signes d’affaiblissement de votre équipe, vous poser en victime auprès
de l’avocat. Pour cela vous n’aurez aucun mal à mettre généreusement en œuvre
votre mauvaise foi naturelle pour expliquer et vous plaindre de la situation
que vous impose votre équipe. Montrez que vous êtes victime d’une équipe
incompétente, amorphe ou insolente, que vos efforts et votre dévouement pour
les faire grandir n’ont eu aucun effet et que malgré tout ce que vous avez
généreusement donné pour eux, sans compter les salaires élevés que vous leur
payez, vous êtes désespérés de pouvoir rien en tirer. Insistez sur les
conséquences de leurs manquements, sur les heures infinies que vous passez à
reprendre leur travail mal fait, sur le temps que vous perdez à leur expliquer
comment faire sans qu’ils ne comprennent jamais, sur leur ingratitude et leur
manque de respect à votre égard, bref sur chacun des points vous positionnant
au regard de la loi comme un employeur modèle portant avec honnêteté le pesant
fardeau d’une équipe de bras cassé.
Montez votre dossier contre eux
Pour mieux vous en servir contre eux en cas de procès,
prenez soin dès leur arrivée de noter et garder trace de chacune des erreurs
que pourront commettre les membres de votre équipe- puisqu’il est clair qu’il
n’y a qu’eux qui peuvent être responsables. Dans la logique du contrôle
permanent que vous leur imposez et puisque vous disposez d’un accès permanent à
leurs ordinateurs, fendez-vous à la moindre petite erreur d’un mail de virulent
reproche gonflant très largement l’ampleur de leur faute, et effacez des boites
mails toute trace de justification en leur faveur. Partagez régulièrement avec
votre avocat ces éléments permettant de renforcer votre cas et de montrer la
malédiction que représentent vos « fatales erreurs de recrutement ».
L’anti-management recommande également de leur faire des procès d’intention et
d’imputer à une volonté avérée de nuisance ou de sabotage toute erreur ou oubli
important de leur part, renforçant ainsi la théorie du complot que votre avocat
saura utiliser en temps voulu. Mieux encore, inventez à loisir des situations de menaces physiques "il a voulu me frapper". Vous aurez ainsi en main les clés vous
permettant une destruction sanctifiée par la législation et pourrez retourner
contre eux toute tentative de vengeance en justice.
Note de l’auteur : De nombreux anti-managers
sont connus pour avoir attaqué victorieusement leurs anciens employeurs pour
harcèlement moral et leurs anciens employés pour tentative de sabotage.
2- Instaurer un régime
de terreur
A présent que vous êtes protégé, il est temps de mettre en oeuvre la solution finale, celle qui aura raison des psychismes les plus agguéris. En plus de l'application de toutes les leçons précédentes, votre principale tâche pour parachever votre oeuvre consiste à créer le terrain favorable à leur anéantissement moral. Voici ce que l'anti-management recommande à cette fin:
Assurez une ambiance insoutenable
Pour atteindre votre objectif d'extermination de votre équipe, il faut commencer par
creuser leur tombe. Pour cela quoi de plus logique que de faire en sorte que
l’ambiance du bureau soit aussi joyeuse que celle d’un cimetière ? Bien
entendu on ne parle pas d’un lieu de recueillement bucolique, on parle d’un de
ces vieux cimetières au crépuscule d’une nuit d’hiver, d’une atmosphère plombée
lourde d’angoisse où chacun a le cœur glacé par la peur. Où nul rire et nulle
parole réconfortante ne se fait entendre pour réchauffer les âmes. Sous couvert
d’urgence et de retards accumulés que vous rappellerez avec force détail lors
du meeting du lundi matin, noyez-les sous un flot ininterrompu de tâches aussi
ingrates qu’ardues(cf leçon N4), en veillant bien à ce que nul ne relève la tête
pour prendre une pause avant la nuit tombée. Contrôlez en permanence leur
production afin de leur assurer que rien ne va et qu’ils sont loin d’avoir
terminé (cf Leçon N3). Bien entendu, à la moindre agitation qui ne soit pas
productive, venez ajouter une ligne de plus à leur liste pesante de tâches
urgentes. Pensez à continuer à générer de la tension entre les membres de votre
équipe en répartissant arbitrairement les rôles et en accusant l’incompétence
de l’un puis de l’autre d’être responsable de la charge de travail de toute
l’équipe (cf leçon N5). Comme dans ces lieux de deuil et de désolation, votre équipe doit pleurer
en arrivant au travail, et sangloter en en repartant.
Soyez détestable en permanence
Et pour renforcer encore le couvercle de plomb qui pèse
sur leur quotidien, offrez à votre équipe la quintessence de votre attitude
d’anti-manager. Plus aucun effort à faire, plus de faux-semblant, laissez
libre court à tout le mépris que vous avez pour eux. Cette fois sans avoir
besoin de calculer vos sentiments, soyez honnête et ne vous cachez plus, exprimez
à l’ensemble de ceux qui vous entourent tout le bien que vous pensez d’eux, et
montrez sans honte qu’ils sont à des mètres sous terre par rapport à vous et qu’ils
n’ont pas plus de valeur à vos yeux qu’une bande de cafards grouillant. Soyez donc aussi aimable qu’une porte de prison et aussi engageant(e) qu’un bouledogue qui
a la colique. D'une mauvaise humeur aussi apparente que permanente, critiquez absolument tout le monde, fustigez tous vos
interlocuteurs, fournisseurs et clients y compris, rejetez en bloc n’importe
quelle idée ou suggestion- ou attribuez-vous la, remettez à sa place quiconque
a le front de s’adresser à vous et dites ouvertement et régulièrement à votre
équipe que vous êtes absolument convaincu(e) de leur inutilité profonde et de
leur absence totale de potentiel. Les plus fins anti-managers recommandent tout
de même, quelques minutes par jour, d’arborer un grand - et faux- sourire pour
raconter votre vie et vanter vos mérites afin de les forcer à se détendre et à
vous répondre avec un sourire timide espérant vous voir revenir à la bonne
humeur, pour immédiatement les remettre sèchement à leur place et reprendre
votre attitude agressive. Vous ajouterez ainsi aux pleurs une angoisse qui leur
serrera les tripes en permanence dans un mal-être absolu.
Déclenchez des tempêtes de rage
Enfin, pour mettre la touche finale à cette ambiance détestable, l’anti-management
recommande d’ajouter encore un peu d’électricité dans l’air en laissant
plus régulièrement que de coutume libre cours à votre rage: fréquemment et
pour des raisons aussi peu rationnelles que possible afin de leur ôter tout
caractère prévisible (une faute d’orthographe dans un brouillon, un fruit
oublié dans le frigo, un peu de vaisselle qui traine, une feuille pas imprimée
pour une réunion, etc.), piquez des colères noires dont les retentissements
doivent être perceptibles à plusieurs centaines de mètres alentour. En menaçant l’équipe entière, hurlez,
insultez les copieusement, dépréciez leur travail en public, plaignez-vous de
cette bande d'incapables, menacez de tous les virer, et partez en claquant la
porte et en faisant trembler les vitres. Des phrases comme « j’en peux
plus de vous, quand je pense au salaire que je vous paye! Je vous ai dit un
nombre incalculable de fois ce qu’il fallait faire, vous en êtes toujours
incapables, vous êtes vraiment des…», «dans d’autres boites ils ont payés deux
fois moins et travaillent deux fois mieux. C’est totalement inacceptable et ca
ne va pas continuer comme ca ! », « A partir de maintenant je
vais prendre des mesures radicales. Je ne sais pas ce qui me retient de tous
vous virer ! » auront un effet garanti. Larmes, angoisse et tremblements n’auront pas
besoin de beaucoup plus pour les mettre à plat et face contre terre, cette fois
sans espoir ni volonté de plus se relever.
3- Achever chaque
survivant
Puisque vous n’avez plus devant qu’un pitoyable amas de
fantômes hagards ou agonisants et malgré le plaisir évident que leur état de
décrépitude mentale-et souvent physique- peut vous procurer en les voyant tomber
les uns après les autres, il est clair que votre objectif d’anti-manager ne
sera atteint que lorsque vous les aurez tous achevés. Et comme il arrive que
malgré vos nombreux efforts certains fassent preuves d’une capacité de résistance
que vous n’auriez jamais soupçonnée, nous vous livrons ici quelques moyens
infaillibles pour achever un membre de
votre équipe un peu récalcitrant:
Appuyez là où ça fait mal
En bon anti-manager, vos qualités naturelles de fin
observateur de la nature humaine vous ont permis de déceler en chacun ses
points faibles, il vous sera donc aisé de le/la piquer au vif. Puisqu’à priori
vous avez pris soin de recruter des jeunes ayant un grand besoin de
reconnaissance, un désir de bien faire, l’envie de travailler en équipe et
autant que possible des valeurs et une éthique forte, votre proie ne fait pas
exception et il vous sera facile de la faire exploser.
Pour bien préparer le terrain et comme un prédateur qui
chasse dans un troupeau, commencez par isoler votre victime. Prenez la en
mission en direct avoir vous, si possible en déplacement, ou bien faites la
travailler dans votre bureau face à vous.». Accablez-la de travail et de
supposées responsabilités, ne lui laissez pas une seconde de répit et suivez en
temps réel chacun de ses actes, demandant des comptes à chaque instant et
augmentant graduellement la pression « alors, tu en es ou ? », « tu
as fait quoi depuis tout à l’heure ? », « je peux voir ce que tu
as écris? ». Harcelez-la par téléphone ou par mail si vous devez vous
absenter pour vous assurer qu’elle ne vous échappe pas un instant. En termes de
tâches, n’hésitez pas à lui demander des choses impossibles, ou bien une chose
puis son contraire en niant avoir changé d’avis. En même temps, faites lui-régulièrement
partager vos critiques et vos réflexions dévalorisantes, dont vous aurez soin d’augmenter
l’intensité et le caractère non constructif « non, ça ne va pas.
Recommence! ». Privée de repos et du soutien physique des autres membres
de l’équipe, vous pourrez à loisir vous acharner sur elle et lui faire rapidement
vivre un véritable enfer, l’abreuvant de reproches aussi injustifiés
qu’exagérés, lui faisant sentir à tout moment son incompétence et votre
déception à son égard, bref, mettez la en pièce mentalement parlant. La plupart
n’y résistent pas plus de quelques jours.
Ajoutez un peu de sel sur les blessures
Si d’aventure votre victime semble survivre à ce
traitement de choc, alors l’anti-management recommande d’ajouter une grosse
dose de cynisme sur les blessures infligées pour la faire étouffer de rage. Demandez-lui
d’abord, pour encore augmenter son désarroi, d’être capable de déceler
elle-même ses faiblesses « quelle est la première chose que doit toujours
faire un bon chef de projet ? », puis « à ton avis, qu’est-ce
que tu as mal fait ici? ». Vous prendrez alors soin, d’une voie
doucereuse et avec toute la mauvaise foi du monde, de lister toute une série de
nouvelles directives ou règles- si possible en contradiction totale avec ce
qu’elle faisait jusqu’alors- qu’elle aurait dû « savoir depuis longtemps,
c’est la base de ton poste ! » et que « vous lui aviez pourtant
clairement expliqué comment elle devait fonctionner ». Et finissez en lui faisant un procès
d’intention « tu le fais vraiment exprès, c’est pas possible! » et en
lui reprochant de vouloir saboter tout votre travail, arguant par cela que
« vous hésitez vraiment à lui donner encore la moindre
responsabilité », ce qui justifiera qu’elle soit dégradée à exécuter des
tâches rébarbatives- en la maintenant sous votre étroite surveillance et sous
le flot continu de vos reproches. Votre proie, fébrilement agitée de spasmes de
rage et de douleur, ne pourra normalement pas y survivre.
Remuez le couteau dans la plaie
Si toutefois et par miracle votre victime ne craque pas- il
en est des très coriaces, il vous faut alors vous assurer que l’ensemble de ses
valeurs et de ses besoins sont foulés aux pieds et jetés au feu, ce qui aura
raison de ses derniers sursauts vitaux. Pour cela mettez un point d’honneur à
placer votre proie dans les situations les plus humiliantes possibles, lui
donnant envie de creuser elle-même sa tombe. Entre autres suggestions, faites-lui
publiquement porter le chapeau d’une erreur qu’elle n’a pas commise, critiquez-la
vertement face à une personne qu’elle admire, et discréditez-la devant tous les
autres. Pour cela et alors que vous savez votre victime être dans un état
mental proche de celui d’une huitre en putréfaction, demandez-lui en public et
en direct d’être créative : « donne-moi tous les arguments de vente
de notre nouveau produit », ou de vous lister plusieurs solutions à un
problème complexe « écris moi le plan d’action, là, tout de
suite ! », afin de pouvoir devant témoin démontrer son incompétence
avérée, que votre victime ne pourra qu’amèrement reconnaitre. Pour parachever
votre œuvre, vous aurez soin de la lui reprocher en ajoutant avec tout le
dédain et la froideur dont vous êtes capable que « vous ne comprenez
vraiment pas pourquoi elle n’arrive pas à réaliser cette tâche pourtant si
simple», ou, pire encore, que « vous avez pourtant tout fait pour qu’elle
réussisse, et elle n’en est pas capable ». Tous les coups sont permis,
c’est l’hallali. L’échec personnel cuisant de ces situations, ajouté à son état
de bête traquée, seront les trompettes de Jéricho de ses derniers remparts
mentaux, et de nombreux cas vous assurent que votre victime, comme acculée
devant un précipice, ne pourra alors que se suicider mentalement.
Et ce sera la fin de votre équipe.
Vous aurez gagné, votre victoire sera aussi complète qu’admirable.
Vos efforts auront payé et votre ancienne équipe peuplera les couloirs des
urgences psychiatriques ou des cabinets d’avocats spécialisés.
Vous pourrez alors
fièrement vous féliciter d’avoir enfin atteint un niveau d’expertise de
l’anti-management vous permettant d’entrer parmi l’élite de cette profession. Nous
vous souhaitons la bienvenue parmi nous, et sommes heureux d’accueillir une
nouvelle référence dans cet art si subtil du massacre psychologique.
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Note de fin :
L’anti-management recommande évidemment de ne pas vous
arrêter sur cette belle victoire mais de continuer pendant l’ensemble de votre
carrière à parfaire votre art, et de saisir la première occasion de recommencer,
peut-être avec une équipe plus importante ou plus expérimentée pour augmenter
la difficulté.
Ressortez alors vos offres d’emploi aussi alléchantes que
votre air faussement aimable. Le marché du travail est mauvais, vous ne pourrez
que trouver…